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MDE 11 novembre 2021

DEREGLEMENT CLIMATIQUE : UNE AUTRE MENACE PROFONDE POUR LE DEVELOPPEMENT DURABLE, LA PAIX ET LA SECURITE EN HAÏTI.

Le moment est venu de dire : « Ça suffit ! » tel est le message d’exhortation exprimé par le Secrétaire Général, le 1er novembre 2021, à l’attention des leaders mondiaux réunis à Glasgow pour l’ouverture de la  26ème Conférence sur le Changement climatique de l’ONU (COP26), qui se tient jusqu’au 12 novembre 2021. Selon Antonio Gutierrez, les engagements pris en faveur du climat tardent à se concrétiser, alors que nous sommes au bord de la catastrophe. Au cours des dix dernières années, près de 4 milliards de personnes ont subi des catastrophes liées au climat par elles, les populations les plus vulnérables notamment celles des Petits Etats Insulaires en Développement (PEID) et les Pays Moins Avancés (PMA) … L’action climatique doit être la première des préoccupations des habitants de la planète, quels que soient le pays où ils vivent, leur âge ou leur sexe. « Ne nous faisons pas d’illusions : si d’ici la fin de la Conférence les engagements ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, tous les pays devront revoir leurs stratégies et politiques nationales sur le climat ».

Une menace absolument majeure pour le pays

En Haiti, les priorités ne manquent pas face aux innombrables défis existants. Cependant, un risque absolument majeur pour le pays est négligé : le dérèglement climatique. Or, il existe des solutions abordables, pratiques et réalistes et bon nombre d'entre eux peuvent aider à résoudre plus d'un problème. En réduisant les émissions, par exemple, nous pouvons réduire la pollution atmosphérique, restaurer des terres productives et créer des emplois verts. En repensant nos systèmes alimentaires, nous pouvons protéger la nature, relever les défis climatiques et aborder la santé et le bien-être des personnes, la nutrition et la sécurité alimentaire.

Haïti, pays aux multiples opportunités, est également caractérisé par un certain nombre de vulnérabilités démographiques, économiques et géographiques, de facteurs de risques socio-politiques, sécuritaires et sanitaires, et de causes structurelles, dont les capacités limitées des institutions étatiques à faire face aux défis. Ces obstacles expliquent dans une large mesure les déficits de développement du pays, les inégalités économiques et sociales, l’insécurité, ou encore l’instabilité. Alors que les fondamentaux pour la paix, dont le dialogue citoyen, la refonte du pacte social et la reconstruction d’une économie inclusive, semblent toujours plus précaires, le dérèglement climatique constitue un facteur perturbateur, aggravant, insidieux mais rarement pointé du doigt, car ses avancées semblent plus lentes, moins visibles.

Le dérèglement climatique a déjà un impact significatif sur la société haïtienne. En 2020, le réchauffement du climat global a atteint +1.25°C par rapport à l’ère préindustrielle. Il se manifeste par une accélération et une intensification d’événements dramatiques, certains brutaux comme les ouragans, d’autres plus prolongés comme les sécheresses, les vagues de chaleur extrême ou encore les inondations. D’autres effets plus graduels et complexes, liés à la montée du niveau de la mer et l’acidification des océans, entraînent l’érosion des côtes et des infrastructures côtières, la salinisation des terres et des aquifères, et la perturbation des cycles de la vie marine. Ces désastres climatiques, aux implications multidimensionnelles, affectent davantage les communautés rurales les plus pauvres du pays. 

Tous ces événements climatiques ont un impact, ou parfois même détruisent, directement ou indirectement, des récoltes, des infrastructures, et des vies. Ils menacent l’accès des communautés rurales et urbaines aux ressources en eau. Ils aggravent l’insécurité alimentaire et creusent la dépendance à l’assistance internationale, tandis que l’histoire a démontré la richesse de la terre haïtienne et sa capacité à apporter la prospérité à son peuple. La stagnation de la production agricole nationale au cours des quinze dernières années témoigne d’une nette corrélation avec les catastrophes climatiques, entre autres facteurs.

Une menace aux implications multidimensionnelles

Haïti est fortement exposé aux catastrophes climatiques et occupe le troisième rang mondial des pays les plus impactés par ces phénomènes sur l’ensemble des vingt dernières années. Au cours des deux dernières décennies, les pertes économiques annuelles moyennes occasionnées par les catastrophes climatiques en Haïti se sont chiffrées à près de 400 millions de dollars US. C’est environ la moitié de l’Aide Publique au Développement annuelle ou encore de la dépense publique annelle qui part en fumée depuis 2010 ! Plus grave encore, le dérèglement climatique s’accélère. Ces pertes pourraient s’élever à plus de 700 millions de dollars US en moyenne annuelle d’ici à 2030.

Le bilan climatique d'Haïti est susceptible d'entraver les efforts vers la stabilité politique, le développement durable, la paix et la sécurité. Les tendances actuelles, combinées à d’autres facteurs de risque, pourraient potentiellement contribuer aux phénomènes migratoires, tant internes qu’externes, ainsi qu’à l’augmentation des tensions et conflits locaux et de la violence communautaire.

Les conséquences de cette « guerre de l’humanité à la nature », selon les termes du Secrétaire Général de l’ONU, sont déjà significatives pour les Haïtiennes et les Haïtiens et pourraient devenir irréversibles. Or, la voix d’Haïti compte peu dans le concert climatique des nations, toutes liées par l’Accord de Paris visant à maintenir le réchauffement mondial sous la barre de 1.5° C idéalement.

Pour rappel, Haïti est signataire de plusieurs protocoles et conventions au niveau international dont la Convention-cadre sur les changements climatiques depuis 1996 et l’Accord de Paris en 2016. L’application des mesures contenues dans ces engagements doit être priorisée. Ce sont les alliances qui construisent les accords, et Haïti devrait davantage faire entendre sa voix au sein de groupes qui défendent les mêmes intérêts, dont ceux des petits États insulaires en développement ou des pays les moins avancés.

Une menace nécessitant une réponse intégrée

Répondre efficacement et durablement aux effets du changement climatique implique des actions structurantes visant à poser les jalons d’une transformation profonde des facteurs structurels et institutionnels qui entravent la bonne gouvernance et constituent souvent des obstacles au bon fonctionnement des institutions publiques et à la mise en œuvre efficace des politiques publiques.

Le Ministère de l’Environnement a emboité le pas en lançant le programme décennal « Plante ak rekolte dlo », qui s’inscrit dans le cadre du Plan National d’Adaptation (PNA) et offre des solutions à divers autres plans nationaux relatifs à l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’énergie, l’économie, les infrastructures, la protection sociale, l’assainissement et la santé... Le Ministère finalise et s’apprête aussi à publier très prochainement le Plan d’Action Environnemental 2021-2030 ainsi que la seconde Contribution Déterminée Nationalement pour l’Accord de Paris. Ces plans et programmes convergent et se renforcent mutuellement. Ils permettent aussi d’inscrire Haïti de plain-pied dans la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes. Les Haïtiennes et Haïtiens, ainsi que les partenaires de la société civile, du secteur privé et des organisations internationales, sont tous appelés à se mobiliser.

Les solutions basées sur la nature, l’agroécologie et l’agroforesterie, les approches d’adaptation et d’atténuation du réchauffement climatique, la réduction des risques de catastrophes ou encore l’accès à la finance climatique internationale peuvent être porteurs de nombreuses capacités et de changements profonds que la société haïtienne réclame. Mais nous devons aussi mieux comprendre et analyser les implications directes et indirectes du dérèglement climatique sur le développement durable, la paix et la sécurité du pays.

A long terme, la résilience face aux chocs climatiques aura en grande partie sa solution dans l’intégration des risques climatiques dans l’ensemble des secteurs nécessaires à la stabilisation. L’amélioration de la gouvernance doit jouer un rôle primordial, à travers une gestion inclusive, proactive, transparente et efficace des risques climatiques, ainsi que des politiques publiques et programmes adaptés. Certes, l’engagement international sur ces questions se matérialise déjà par les opportunités qu’offrent les financements du Fonds Vert Climat, du Fonds pour l’Environnement Mondial, du Fonds Haïtien pour la Biodiversité, et des bailleurs bilatéraux entre autres. Cependant, une action intégrée, selon une approche nexus Humanitaire-Développement-Paix, pourrait ainsi servir de cadre d’orientation à la réponse nationale aux chocs climatiques. 

C'est une année charnière pour rétablir l'équilibre avec la nature, faire face à l'urgence climatique et anticiper la crise de la pollution, tout en veillant à ce que personne ne soit laissé pour compte. Le sommet COP26 réunira les parties pour accélérer les actions en vue d'atteindre les objectifs de l'Accord de Paris et de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Ainsi, tous les pays sont appelés à unir leurs forces avec la société civile, les entreprises et les personnes en première ligne du changement climatique pour inspirer l'action climatique avant la COP26.

 

M. James CADET, Ministre de l’Environnement, République d’Haïti

M. Bruno LEMARQUIS, Coordinateur Résident des Nations unies en Haïti