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MDE 15 février 2022

RECONSTRUCTION POST-SEISME DU GRAND SUD: UNE OPPORTUNITE UNIQUE POUR REFONDER NOTRE MODELE DE DEVELOPPEMENT

Le 14 août 2021 soit plus de 11 ans après le séisme du 12 Janvier 2010 ayant détruit la capitale Port-au-Prince, et 6 ans après le passage dévastateur de l’ouragan Matthew sur les côtes Sud-Ouest d’Haïti, un tremblement de terre mesurant 7,2 sur l'échelle de Richter, a frappé la Péninsule du Sud causant des dégâts considérables. Ce qui a engendré des pertes et dommages estimés à 1,2 milliard de dollars américains et induit une ponction de 15% du Produit Intérieur Brut.

 

Le Gouvernement du Premier Ministre Ariel Henry avait dès le départ déclaré l’état d’urgence, activé le Système National de Gestion du Risque (SNGR), coordonné, avec l’aide des agences du Système des Nations-Unies et de la communauté des bailleurs de fonds, un exercice d’Evaluation des Besoins Post-Désastres pour un recensement aussi exhaustif que possible de tous les effets directs et indirects, des impacts croisés de la catastrophe sur les secteurs économiques et sociaux et les secteurs transversaux ( Gestion des Risques et Désastres, Environnement).

 

Un Plan de Relèvement Intégré de la Péninsule du Sud (PRIPS)-guidé par les principes d’inclusion et de justice sociale et articulé autour des axes tels la gouvernance du relèvement, le relèvement économique, la résilience des infrastructures, l’aménagement du territoire et l’amélioration des conditions de vie de la population- sera présenté le 16 février 2022 prochain par le Premier Ministre lors d’une table ronde des bailleurs pour tenter de rassembler et de déployer de manière coordonnée et efficace les montants nécessaires à la reconstruction.

 

Le PRIPS ambitionne de promouvoir « un relèvement résilient face aux aléas multiples et complexes en adoptant des approches innovantes et durables sur la base d’un processus inclusif et coordonné ». Ce séisme a mis en lumière de manière dramatique l’extrême vulnérabilité des Haïtiennes et des Haïtiens face aux catastrophes, notamment celles d’origine naturelle. Haïti constitue, en effet, l’un des pays les plus vulnérables de la région des Caraïbes aux chocs exogènes.

 

Au-delà de ce qui est préconisé dans le PRIPS et à la lumière des ratés post-reconstruction du séisme du 12 Janvier 2010, ce qui s’est passé le 14 Août 2021 devrait être transformé en de nouvelles opportunités pour jeter les bases d’une nouvelle gouvernance ciblant la révision des politiques pertinentes à la Réduction de Risques et de Désastres. Il ne s’agira pas de reproduire les vulnérabilités préexistantes et il convient de faire les choses autrement.

 

La subsistance qui laisse sans moyens, la précarité, la pauvreté et la vulnérabilité qui en découlent, de même que les choix irrationnels que l’obligation de survivre impose et qui entraînent eux-mêmes des déséquilibres préjudiciables à la qualité de la vie ne doivent plus être au rendez-vous. Pour que le PRIPS s’inscrive dans une perspective plus large de développement intégré, comme le recommande le Premier Ministre Ariel Henry, il faudrait, selon nous, accorder une attention particulière aux aspects ci-après :

 

  • Sur la question de la réduction du risque sismique en soi

Il est un adage reconnu dans le domaine que là où la Terre a tremblé elle tremblera de nouveau même si les cycles sismiques peuvent varier d’une région à une autre. Il convient, en effet, de capitaliser, sur les récentes initiatives du Ministère de l’Education Nationale de création d’une « Commission de Sensibilisation et d’Education aux Risques de Catastrophe », pour renforcer le SNGR en mettant sur pied un véritable Programme Pilote d’Education Relative au Risque Sismique en Milieu Scolaire  dans la Péninsule du Sud.

 

Ce Programme, avec à la clef une mallette pédagogique comprenant un Manuel de Formation des Maîtres et des Plans Participatifs Simplifiés de Prévention du Risque Sismique différenciés par école,  devra s’attacher à favoriser la mise en place d’un dispositif pédagogique basé sur une connaissance et une compréhension assez poussées de l’aléa sismique et de la vulnérabilité du  territoire des écoles au risque sismique qui devra rendre les maîtres et enseignants dans une situation capacitante vis-à-vis des élèves grâce à une ingénierie pédagogique appelée à améliorer chez  ces derniers une culture du risque sismique et favoriser, par ainsi, leur résilience. Il s’agira donc d’une éducation réellement habilitante au risque sismique, centrée sur celui-ci au profit à la fois des maîtres et des élèves ; une éducation qui ferait prendre conscience aux élèves de la région et de la République, qu’en tant que futurs acteurs de la société, ils font partie de la solution et peuvent changer leurs propres comportements ou plaider en faveur d’un changement sociétal.

 

  • Les risques d’inondation et les mouvements de masse

En attendant, il faudra attaquer les questions de court terme en prenant notamment les dispositions appropriées pour une préparation adéquate de la population par rapport à la prochaine saison cyclonique (Juin- Octobre) qui risque également d’être meurtrière en raison d’une exacerbation des problèmes liés à l’inondation et de mouvements de terrain du séisme du 14 Août 2021 (décrochements survenus dans les pans de versants montagneux, coulée boueuse, glissements, débris divers etc.). Ces débris sont susceptibles de former des embâcles lors des prochains ruissellements qui viendront obstruer les différents ouvrages et aggraver les submersions. Plus d’une dizaine de rivières et torrents ont été affectées, selon les décomptes du Ministère de l’Environnement, par ces mouvements de masse dans les Départements du Sud, de la Grande Anse et des Nippes.

 

Ce qui plaide tout naturellement pour la mise en place d’un Programme Régional de Lutte contre les Inondations et les Mouvements de Masse, via des mesures de reprofilage des lits mineurs, d’enrochement des berges les plus exposées, de colmatage de brèches et de curage dans le but de réduire la vulnérabilité environnementale des zones densément peuplées et de production.  Ce programme, à fort potentiel de création d’emplois verts et à forte incidence sur les infrastructures productives et les établissements humains en aval, pourra impacter positivement la paix, la sécurité publique, l’inclusion et la justice sociale recherchées par le gouvernement du Premier Ministre Henry.

 

  • Une reforestation robuste et la restauration des services écologiques

Certes, le secteur environnement avec 81 millions de dollars n’apparaît qu’en cinquième position dans les besoins de relèvement identifiés par le PRIPS, loin derrière le logement et l’éducation par exemple. Mais les images du Parc National de Macaya (7,000 hectares), première Zone Clé de Biodiversité de la Caraïbe, sont à cet égard très bouleversantes où plus de 75% de la superficie du Parc sont tailladées d’innombrables glissements de terrain témoignent, si besoin est, de l’ampleur du désastre.

 

La Péninsule aura besoin d’un véritable programme forestier comme corps d’une initiative robuste de restauration du couvert forestier du Parc National de Macaya et de restauration des terres dégradées et d’un ensemble d’écosystèmes précieux dont les services (château d’eau, microclimats etc.) sont essentiels aux communautés locales.

 

Le relèvement de la Péninsule du Sud offre donc une opportunité unique d’investir dans l’Environnement et dans une gestion intégrée du territoire pour reconstruire la résilience et les conditions de sécurité et de développement du pays. Des expériences locales réussies, galvanisées par d’autres exemples régionaux et internationaux, offrent un socle de connaissance et d’impulsion pour engager une véritable révolution verte en Haïti, pour replacer la nature au centre, au fondement du modèle de résilience et de sécurité. Inverser la dégradation de la nature et l’appauvrissement des communautés est possible, par exemple à travers un reboisement massif porté directement par les communautés locales et adapté à leurs besoins et leurs circonstances.

 

Ainsi, replanter des forêts naturelles protègera les services environnementaux inestimables qui soutiennent les modes de vie des communautés. L’objectif national de 30% d’aires protégées que s’est fixé le pays permettra alors de séquestrer jusqu’à 200 millions de tonnes de CO2 et d’attirer ainsi les financements internationaux nécessaires. Ce qui permettra de corréler, dans une perspective de résilience durable, le risque soit étroitement à d’autres dimensions du développement durable comme ses étroites relations avec le Changement Climatique.

 

A tout ceci, il faudra en outre impulser d’autres mesures additionnelles pour consolider la résilience sur une base durable :

  • La promotion de la pêche continentale et la gestion durable des ressources halieutiques et la restauration des habitats marins par l’élaboration et la mise en œuvre des plans d’aménagement, la poursuite des efforts en matière de conservation et de protection des zones de frayères (opérationnalisation des aires marines protégées créées depuis 2018, reconstitution des écosystèmes des mangroves, mise en place de récifs artificiels, etc.) ;

 

  • La promotion, conformément aux grandes lignes prioritaires du gouvernement d’un Socle Régional de Protection Sociale, devant garantir un meilleur accès aux services essentiels et aux transferts sociaux pour les plus pauvres et les plus vulnérables, un développement inclusif reposant sur un respect des besoins différenciés des femmes, des enfants et des groupes vulnérables, en leur assurant un accès équitable aux opportunités, pour garantir leur autonomisation économique, sociale et politique ;

 

  • La promotion de la gestion intégrée et durable des ressources en eau, par la réalisation d’ouvrages collectifs d’évacuation des excréta en milieu rural, la protection et la conservation des réserves stratégiques en eau et l’écocitoyenneté au niveau communautaire ;

 

  • L’amélioration de la qualité du cadre de vie en milieux urbain et rural, par l’aménagement des espaces, sites de loisirs, ainsi qu’une meilleure gestion des déchets solides et liquides etc.

 

Mais n’oublions surtout pas qu’au cœur du plan de réponse, la nature doit et peut jouer un rôle central afin de renforcer la résilience et les opportunités des Haïtiennes et des Haïtiens. Il nous faut rebâtir le capital environnemental d’Haïti. Faisons du Grand Sud le laboratoire et la vitrine d’un modèle efficace de développement durable qui inspirera l’ensemble du pays. Donnons au peuple haïtien les moyens de se réapproprier son avenir, de faire la paix avec la nature, et de retrouver ainsi le chemin de l’espoir !

 

 

James CADET

Ministre de l’Environnement